« Dans mon école idéale de photographie, il y aurait un professeur de bouquet et un professeur de musique. On ne formerait pas des virtuoses du violon, mais on expliquerait le rôle de la musique qui donne une lumière sur les civilisations passées, formation complémentaire très nécessaire. »
Cette pensée de l’artiste qui vécut de 1912 à 1994 est le fil conducteur de l’exposition temporaire à la Philharmonie de Paris présente jusqu’au 5 mai 2019.
Durant un parcours rassemblant plus de deux cents œuvres de Robert Doisneau, le sens musical issu de l’imaginaire du photographe se dévoile. Celui qui fut par ailleurs l’un des principaux représentants du courant de la photographie humaniste française (montrer l’être humain dans sa vie quotidienne), aimait profondément la musique. Mais comme le dévoile l’exposition, il aimait avant tout les personnes qui en jouaient, comme son ami violoncelliste Maurice Baquet qu’il décrivait comme son « professeur de bonheur » et qu’il immortalisa par ses clichés pendant cinquante ans.
Celui qui allait perpétuellement à la rencontre de Paris et sa banlieue, toujours accompagné de son appareil photo, s’offre une nouvelle exposition où l’on découvre un humour certain et toujours cet amour de la vie et des gens. Aux abords du Parc de la Villette, pendant un peu plus d’une heure, vous y êtes accompagnés par une bande-son originale de Moriarty. Pour le plaisir des yeux et des oreilles.
Biographie express et œuvre de Robert Doisneau
Robert Doisneau faisait et fait toujours parti des photographes français les plus connus à l’étranger. Sa plus célèbre photographie, « Le Baiser de l’hôtel de ville » est le porte étendard de ses nombreuses photographies en noir et blanc des rues de Paris d’après-guerre et de sa banlieue. Celui qui se décrivait comme « un passant patient » gardait toujours une certaine distance vis-à-vis de ses sujets, comme pour mieux les laisser s’exprimer librement quant à leurs actions quotidiennes. Toujours à l’affut pour marquer ses œuvres d’humour, d’histoire et de nostalgie.
Cet artiste unique qui prenait le temps d’aller « là où il n’y a rien à voir » a commencé par étudier les Arts graphiques à l’École Estienne, où il obtenu son diplôme de graveur et de lithographe en 1929 à 17 ans. Un an plus tard, il devient photographe publicitaire et rencontre celle qui deviendra sa femme.
En 1932, il vend son premier reportage photographique. Encore timide, il hésitait à s’approcher de ses sujets pour les photographier, ces derniers étaient presque tout le temps pris de dos et à mi-distance.
En 1934, il est embauché en tant que photographe industriel par le constructeur automobile Renault. Quatre années de retards répétés lui valent un licenciement, mais lui permettent d’accéder au statut convoité de photographe indépendant. Si la seconde guerre mondiale freine ses activités, il produira de nombreux reportages photographiques pour divers magazines d’actualités dès la fin de celle-ci. Ses sujets d’alors sont notamment l’actualité parisienne, le Paris populaire et la musique en toile de fond.
À sa mort, il laisse près de 450 000 négatifs témoins de son époque, de Paris et sa banlieue.
La méthode de Robert Doisneau
« Je n’emmène personne. La déambulation est un vice solitaire. J’aurais bien trop honte d’exhiber mes hésitations, mes retours en arrière et, surtout, mes attentes déraisonnables. Pour éviter de revenir paresseusement aux endroits où un jour la chance a bien voulu me sourire, je varie mes itinéraires, volontairement j’évite le pittoresque éprouvé. »
Voila en deux phrases ce qui pourrait résumer la méthode de Robert Doisneau. La photographie est un art dans lequel il faut se plonger, se faire tout petit, saisir l’instant présent et l’histoire qui y est liée. La richesse de son œuvre provient de ses « déambulations » aux trajets aléatoires. Se laisser porter par l’imagination, l’émotion et la musique ! Son « petit théâtre », comme il aimait l’appeler, c’est l’univers où il met en scène ses propres pensées. En son temps, dans le sud de Paris et sa banlieue, la musique est partout. Tous ceux qui donnaient des airs de fêtes aux rues de Paris, comme les fanfares, Georges Brassens au métro Glacière… sont rentrés dans le Rolleiflex du photographe.
Dimanche en banlieue – Montreuil (1945)
« Faire de l’ironie sur le pavillon mimile, c’est céder à l’esprit chansonnier. Si l’on refuse cette médiocrité, il faut se planter devant ces décors provisoires, en attente de la métamorphose, et regarder, regarder jusqu’au tournis. Pour montrer l’exotisme de la périphérie et les costumes des indigènes, il n’y avait que très peu de cartes postales. J’ai donc été obligé de m’y employer. »
Dimanche en banlieue – Montrueil (1945)
« Tous les soirs, du printemps à l’automne, il jouait du clairon dans son jardin d’Antony (Sud des Hauts de Seine (92)). Certains voisins qui n’aimaient pas la musique mugissaient : « Voilà encore l’autre avec son binjou ! » C’était pourtant un petit solo mélancolique, pas guerrier pour un sou. »
À-travers ces deux photos commentées par Robert Doisneau, chaque visiteur de l’exposition temporaire découvre sa douceur et sa mélancolie.
Le père Noël et le violoniste – Montrouge (1952)
« Les photos qui m’intéressent, que je trouve réussies, sont celles qui ne concluent pas, qui ne racontent pas une histoire jusqu’au bout mais restent ouvertes, pour permettre aux gens de faire eux aussi, avec l’image, un bout de chemin, de la continuer comme il leur plaira ; un marchepied du rêve en quelque sorte. »
C’est là qu’on prend la pleine mesure de ce qu’il appelait son « petit théâtre », là où il s’est amusé toute sa vie.
Les reportages de Robert Doisneau pour les magazines
Après la guerre, Robert Doisneau s’est fait une réputation. Si une photo vaut mille mots, le photographe reporter est alors très demandé pour raconter les histoires. De 1949 à 1951, la côte de popularité de l’artiste décolle lorsqu’il est salarié pour le magazine Vogue. Il est envoyé pour photographier les vedettes de la chanson comme Juliette Gréco, Philippe Clay, Maria Callas, Charles Trenet, Chantal Goya, Mireille et Emmanuel Berl, photos que vous pourrez découvrir lors de votre visite.
Dans les années qui suivent, ses reportages s’exportent outre Atlantique. En plein essor de la bande dessinée, les photos de Robert Doisneau se présentant sous la forme de romans photos commencent à faire leurs apparitions comme alternative.
Plus tard, en 1961, sa renommée lui permet de ne plus simplement travailler, mais de collaborer avec le rédacteur en chef du magazine Le Point. Dans ses reportages, pour lesquels il lui arrive d’être aussi en charge du texte, il rencontre les musiciens connus de l’époque dont Pierre Schaeffer dans son studio.
Les dernières années de la carrière de Robert Doisneau
« Alors que le délinquant vieillissant que je suis voit ces gens sérieux que sont les conservateurs et autres bibliothécaires faire grand cas de ces images glanées dans des conditions illégales, je sens monter en moi une délicieuse jubilation ».
Voici comment il se présente dans les années 1980. L’artiste qui refuse le statu quo ne s’arrête pas, et ne regarde dans en arrière. Pour lui, il faut continuer d’aller de l’avant, de photographier le présent et de rencontrer la jeunesse moderne.
Il prend alors plaisir à prendre comme sujets de nombreux artistes de la nouvelle génération comme Renaud, les Rita Mitsouko, Les Négresses Vertes et Niagara pour les magazines, les journaux mais aussi les pochettes de leurs albums.
Il réalisa même un court-métrage, Les Visiteurs du Square, dont il confia la bande originale au compositeur Nicolas Frize.
La fraternité entre Maurice Baquet et Robert Doisneau
Le violoncelliste Maurice Baquet, également présenté comme le « professeur de bonheur » de Robert Doisneau a été une source d’inspiration abondante dès lors que leurs « routes se sont croisées ». À-travers les photographies présentées lors de l’exposition temporaire, on découvre le nouvel espace de création artistique et humoristique survenue à la suite de leur rencontre.
En 1964 déjà, le photographe déclarait : « Baquet est un type extrêmement gracieux, qui a un comique tout à fait naturel. Physiquement, déjà, il est amusant. C’est un type avec qui je me sens tout à fait à l’aise ». Ce qui se vérifie facilement avec les photos Les Cadres, Le Violoncelle sous la pluie, D’eau Majeure et Violoncelliste nu.
Le violoncelle sous la pluie (1957)
Grâce à Maurice Baquet, Robert Doisneau a pu s’essayer à divers travaux comme les trucages, les photomontages, les collages, les déformations et les montages. Les titres de certaines photos sont aussi attachants et drôles comme « Violoncelle prend deux ailes ».
Violoncelle prend deux ailes (1960)
La complicité de Robert Doisneau avec Jacques Prévert
Un certain nombre de photographies prises par Robert Doisneau mettant en scène le poète parisien Jacques Prévert, est à découvrir durant la visite. De leur rencontre en 1947 à la suite d’un reportage à Saint-Germain-des-Prés, vous pouvez découvrir le Paris d’alors ainsi que leur franche amitié.
Le premier déclarait « Le rêve, le merveilleux, c’est à Prévert que je le dois ». Le second disait « Le Rolleiflex* ou la boîte de Pandore, ça sort de la même usine que personne jamais n’a trouvée. Cela, Robert Doisneau le sait et lorsqu’il travaille à la sauvette, c’est avec un humour fraternel et sans aucun complexe de supériorité qu’il dispose son miroir à alouettes, sa piègerie de braconnier et c’est toujours à l’imparfait de l’objectif qu’il conjugue le verbe photographier ».
Cette dernière description de l’artiste, défini comme un chasseur d’image, patient, qui prenait des clichés d’amis et de frères dans le cas de Prévert, résume parfaitement la sensation qui se dégage de cette exposition temporaire.
Jacques prévert au pont de crimée (1955)
Les photos exposées furent prises lors de promenades le long de bassin de la Villette, du Canal Saint-Martin, du pont-levant de Crimée.
Pourquoi il faut aller voir l’exposition Doisneau et la Musique
Parce que c’était l’une des plus attendues et qu’elle arrive tout de même à surprendre le visiteur. On pensait connaître l’artiste avec ses décennies de photos. Mais son attachement à la musique, son humour, son humanisme et l’envergure de son travail profite d’un nouveau regard grâce à cette exposition dont la commissaire n’est autre que…. sa petite-fille. Cette balade dans les rues de Paris à-travers le temps permet de se rapprocher avec celui qui aurait été un merveilleux guide local.